[LIVRE] Pétrole: le déclin est proche. Seuil & Reporterre, 2021.

« Pétrole, le déclin est proche », Matthieu Auzanneau avec Hortense Chauvin. Editions du Seuil & Reporterre, le quotidien de l'écologie, 2021, 136 pages, avec des graphes fort instructifs.

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Note Générale:
 
La croissance verte n’est pas pour demain !
 
 

Y’a des bouquins qui sont chouettes à lire, parce qu’ils se lisent vite, sont clairs et vont droit au but ! Celui-ci en fait partie.
 
Thématique ô combien complexe, clivante et sujette à débats, le pétrole reste un sujet difficile à aborder, tant la complexité des enjeux est grande et les techniques utilisées spécifiques, mais aussi à cause de l’imbrication de l’économie, de la géopolitique et des perspectives d’avenir pour ne rien simplifier ! Il s’agit ni plus ni moins d’un enjeu majeur et central.
 
L’avantage des chiffres présentés dans ce bouquin est qu’ils se basent non pas sur ceux qui sont disponibles au public gratuitement (et dont se servent la plupart des non professionnels, des journalistes, des commentateurs occasionnels et autres amateurs du « nous sachons »), sur une licence exceptionnelle pour accéder aux chiffres officieux (et confidentiels) utilisés par les pétroliers eux-mêmes... et les données sont bien différentes (les graphes sont particulièrement éclairants !), voire même totalement opposées...
 
Matthieu Auzanneau nous dépeint ici un tableau clair, explicitant les différences entre pétrole conventionnel, sables bitumeux, gaz de schistes, leurs différentes méthodes d’extraction ainsi que les contextes économiques et énergétiques qui sont propices aux uns et aux autres.
 
On y aborde également les pics selon les types de forages, selon les choix des exploitants, la gestion des champs, et les différents types de déclins possibles. On y aborde les différences entre réserves prouvée, probables, stocks, ... on parle aussi des chocs pétroliers, de leurs raison, de leur conséquences, on y parle révolutions, guerres, conflits armés et printemps arabes. On parle aussi prospection, (non)découverte de nouveau champs, investissements et impact de la crise sanitaire. Bref, une réelle petite introduction bien foutue et assez complète au monde pétrolier !
 
Déclin ? Vous êtes sur ?
 
Comme certains aiment a le dire, ça fait 40 ans qu’on nous dit qu’on a encore pour 40 ans de pétrole. Pendant cette lecture on se rend bien compte que le pic de pétrole facile conventionnel est bel et bien passé (tous les pétroliers sont d’ailleurs d’accord la dessus), et le déclin de celui-là, mis à part miracle technologique ou chance improbable, est inéluctablement en cours. On a pu combler ces déclins avec gaz de schistes, puis sables bitumineux, puis pétrole extra lourd Vénézuélien, mais c’est surtout pour la vitrine, car tous n’ont ni la même teneur énergétique ni la même rentabilité économique. Et là aussi, les déclins pointent leur bout de leur nez.
 
Avec ou sans action et politique climatique, le pétrole va venir à manquer, c’est sûr. Quelque part donc, même si nous n’avions aucun problème de gaz à effet de serre, ça ne changerait pas grand chose. Que ce soit dans 10 ans, 20, 30 ou 40 ne change pas la donne: étant donné qu’on ne se prépare pas du tout globalement à sortir du pétrole (tout, absolument tout en dépend encore), et qu’on sait qu’il faudra sans doute plusieurs décennies pour adapter nos sociétés à faire sans, on est globalement très très mal barré ! Et les « petits » chocs pétroliers des années 70 ne sont rien par rapport à ce qui va nous tomber dessus, c’est un peu le cri d’alarme d’Auzanneau.
 
Pourquoi on ne fait rien pour s’y préparer ? Il semble en fait que personne ne veuille crier au loup, de peur qu’il arrive encore plus vite... Et le fait est que la pénurie pourrait même être du fait des pétroliers eux-mêmes ! Nombre d’actif risquent bien de disparaître, les faillites - ou besoins de capitaux pour les éviter - sont déjà assez nombreuses comme ça, le système d’endettement cumulé des exploitants de pétroles non conventionnels pose problème (ils sont pourtant devenus accessibles grâce à l’argent facile apparu avec des taux d’intérêts extrêmement bas de la FED, depuis qu’ils sont remontés, l’avenir du secteur est sur le fil du rasoir).
 
En réalité, la demande de pétrole est encore et toujours en augmentation (sauf un très léger recul en Europe occidentale et au Japon, principalement dû à leur désindustrialisation au profit d’autres pays comme la Chine), ce qui montre bien, à nouveau, un déni généralisé et mondialisé ! Et malheureusement pour le climat, les deux sources d’énergie capables de rivaliser avec le pétrole sont le gaz et le charbon: ils risquent fort bien d’être choisis dans un contexte de croissance fragile et un haut taux d’endettement des états et des extracteurs.
 
L’idée générale développée ici relève un peu de « l’école » jancoviciste qui fait un lien direct entre consommation de pétrole (pas production hein) et croissance... et en effet, sans vraiment parvenir à démontrer un lien causal dans un sens ou dans un autre, n’importe quel analyste qui parcoure les chiffres y trouvera une corrélation proche de 1... les amateurs de la décroissance seront sans doute réjouis, le problème c’est qu’elle risque fort d’être durement subie... Néanmoins il semble pencher en faveur des théories de Janco et des autres: c’est bien le pétrole qui tire la croissance (et non la croissance qui fait consommer plus de pétrole), P.71: 
 
« 𝑏𝑒𝑎𝑢𝑐𝑜𝑢𝑝 𝑚𝑜𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑝𝑒́𝑡𝑟𝑜𝑙𝑒, 𝑐̧𝑎 𝑠𝑖𝑔𝑛𝑖𝑓𝑖𝑒 𝑏𝑒𝑎𝑢𝑐𝑜𝑢𝑝 𝑚𝑜𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑠𝑢𝑝𝑒𝑟𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́𝑠 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑏𝑒𝑎𝑢𝑐𝑜𝑢𝑝 𝑚𝑜𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑐ℎ𝑜𝑠𝑒𝑠 𝑑𝑒𝑑𝑎𝑛𝑠 [...]. 𝐶𝑒𝑙𝑎 𝑣𝑒𝑢𝑡 𝑑𝑖𝑟𝑒 𝑔𝑙𝑜𝑏𝑎𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑚𝑜𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑚𝑎𝑡𝑖𝑒̀𝑟𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑒𝑚𝑖𝑒̀𝑟𝑒𝑠 𝑑𝑒́𝑝𝑒𝑛𝑑𝑎𝑛𝑡𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑓𝑙𝑢𝑥 𝑙𝑜𝑔𝑖𝑠𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑟𝑎𝑝𝑖𝑑𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑎̀ 𝑙𝑜𝑛𝑔𝑢𝑒 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒́𝑒: 𝑚𝑖𝑛𝑒𝑟𝑎𝑖𝑠 𝑑𝑒 𝑓𝑒𝑟 𝑖𝑛𝑑𝑖𝑒𝑛, 𝑐𝑢𝑖𝑣𝑟𝑒 𝑒𝑡 𝑙𝑖𝑡ℎ𝑖𝑢𝑚 𝑐ℎ𝑖𝑙𝑖𝑒𝑛, 𝑏𝑎𝑢𝑥𝑖𝑡𝑒 𝑑’𝐴𝑢𝑠𝑡𝑟𝑎𝑙𝑖𝑒, 𝑐𝑜𝑏𝑎𝑙𝑡 𝑒𝑡 𝑐𝑜𝑙𝑡𝑎𝑛 𝑐𝑜𝑛𝑔𝑜𝑙𝑎𝑖𝑠, 𝑡𝑒𝑟𝑟𝑒𝑠 𝑟𝑎𝑟𝑒𝑠 𝑐ℎ𝑖𝑛𝑜𝑖𝑠𝑒𝑠.
𝑃𝑎𝑟𝑐𝑒 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑝𝑒𝑟𝑚𝑒𝑡 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑒𝑥𝑡𝑟𝑎𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑚𝑎𝑠𝑠𝑖𝑣𝑒, 𝑙𝑒 𝑝𝑒́𝑡𝑟𝑜𝑙𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑙𝑎 𝑚𝑒̀𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡𝑒𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑚𝑎𝑡𝑖𝑒̀𝑟𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑒𝑚𝑖𝑒̀𝑟𝑒𝑠. 𝐿𝑒 𝑝𝑖𝑐 𝑝𝑒́𝑡𝑟𝑜𝑙𝑖𝑒𝑟 𝑠𝑖𝑔𝑛𝑖𝑓𝑖𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑏𝑎𝑏𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑢𝑛 𝑝𝑖𝑐 𝑑𝑒 𝑝𝑟𝑒𝑠𝑞𝑢𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡 ».
 
Voilà qui n’est guère réjouissant ! Et l’auteur de surenchérir sur nos possibilités d’énergies renouvelables ou de substitution non carbonées: elles sont incapables de s’entretenir elles-mêmes, elles restent totalement dépendantes du pétrole pour maintenir un prix/kwh tenable. Cela rejoint pas mal le très très bon bouquin de Vincent Mignerot, 𝐥’𝐞́𝐧𝐞𝐫𝐠𝐢𝐞 𝐝𝐮 𝐝𝐞́𝐧𝐢 ! Pas si seul, finalement, Mignerot 😉.
 
Il pointe pour terminer une terrible dichotomie entre ce qu’on dit qu’on veut faire et ce qu’on fait vraiment. Il serait en effet bien utile d’entrer dans une sobriété énergétique forte (une sorte de sevrage) ; cependant aucun gouvernement n’en veut car la sobriété énergétique implique une décroissance du PIB (et ça c’est très très mal!) car elle implique moins d’activité économique ! Alors on nous vend des innovations technique et technologiques, souvent hypothétiques. P.117: 
 
« 𝑜𝑛 𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑡 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑐𝑒𝑠𝑠 𝑖𝑛𝑑𝑢𝑠𝑡𝑟𝑖𝑒𝑙𝑠 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑒𝑓𝑓𝑖𝑐𝑎𝑐𝑒𝑠 𝑒𝑡 « 𝑏𝑎𝑠 𝑐𝑎𝑟𝑏𝑜𝑛𝑒 ». 𝐿𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑜𝑚𝑚𝑎𝑡𝑒𝑢𝑟 𝑛’𝑎𝑢𝑟𝑎 𝑝𝑎𝑠 𝑎̀ 𝑓𝑎𝑖𝑟𝑒 𝑑’𝑒𝑓𝑓𝑜𝑟𝑡, 𝑐’𝑒𝑠𝑡 𝑎̀ 𝑙’𝑖𝑛𝑔𝑒́𝑛𝑖𝑒𝑢𝑟 𝑑𝑒 𝑚𝑖𝑒𝑢𝑥 𝑡𝑟𝑎𝑣𝑎𝑖𝑙𝑙𝑒𝑟 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑝𝑟𝑜𝑑𝑢𝑖𝑟𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑠𝑦𝑠𝑡𝑒̀𝑚𝑒𝑠 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑒𝑓𝑓𝑖𝑐𝑎𝑐𝑒𝑠 ».
 
Or il s’agit d’un vœu pieux, et il semble particulièrement peu judicieux de parier l’avenir du monde sur des hypothèses incertaines. Selon Auzanneau, on ferait bien de partir de ce qui est techniquement faisable maintenant pour décider de comment on fait et non l’inverse ! Le découplage qu’on nous vend entre croissance du PIB et la décroissance énergétique est juste chimérique (le graphe p.118 est lumineux !): ça n’arrivera pas, tout simplement.
 
Ses conclusions sont accablantes. P.121: 
 
« 𝘰𝘶𝘪, 𝘢𝘧𝘪𝘯 𝘲𝘶𝘦 𝘭𝘢 « 𝘤𝘳𝘰𝘪𝘴𝘴𝘢𝘯𝘤𝘦 𝘷𝘦𝘳𝘵𝘦 » 𝘢𝘥𝘷𝘪𝘦𝘯𝘯𝘦, 𝘪𝘭 𝘯’𝘺 𝘢 𝘲𝘶’𝘢̀ 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦𝘯𝘤𝘦𝘳 𝘱𝘢𝘳 𝘥𝘪𝘳𝘦 𝘲𝘶’𝘪𝘭 𝘺 𝘦𝘯 𝘢𝘶𝘳𝘢, 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘤𝘳𝘰𝘪𝘴𝘴𝘢𝘯𝘤𝘦. 𝘌𝘵 𝘰𝘯 𝘷𝘦𝘳𝘳𝘢 𝘣𝘪𝘦𝘯 𝘤𝘦 𝘲𝘶’𝘦𝘭𝘭𝘦 𝘦𝘴𝘵 𝘤𝘢𝘱𝘢𝘣𝘭𝘦 𝘥𝘦 𝘥𝘰𝘯𝘯𝘦𝘳 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦 𝘨𝘢𝘪𝘯𝘴 𝘥’𝘦𝘧𝘧𝘪𝘤𝘢𝘤𝘪𝘵𝘦́ 𝘴𝘢𝘯𝘴 𝘱𝘳𝘦́𝘤𝘦́𝘥𝘦𝘯𝘵𝘴 [...] » et d’enchérir ironiquement plus loin sur la non-sortie du pétrole: « 𝘚’𝘪𝘭 𝘯’𝘺 𝘢 𝘱𝘢𝘴 𝘥𝘦 𝘴𝘰𝘭𝘶𝘵𝘪𝘰𝘯, 𝘤’𝘦𝘴𝘵 𝘲𝘶’𝘪𝘭 𝘯’𝘺 𝘢 𝘱𝘢𝘴 𝘥𝘦 𝘱𝘳𝘰𝘣𝘭𝘦̀𝘮𝘦. 𝘊𝘰𝘯𝘵𝘪𝘯𝘶𝘦𝘻 𝘥𝘦 𝘱𝘰𝘮𝘱𝘦𝘳 ».
 
Pour lui, il faut « simplement » accepter la réalité d’ordre physique: nulle alternative au pétrole et aux énergies fossiles ne peut être mise en œuvre en gardant le même niveau de consommation. Il serait malin partir de là pour penser l’avenir, au lieu de faire le chemin exactement inverse actuellement (avec pour conséquence qu’on n’y apporte pas de réponse adéquate).
 
Nous sommes coincés selon lui par la coexistence de deux systèmes intellectuels enchevêtrés et incompatibles: la connaissance des propriétés et interactions de la matière et de l’énergie et une culture monétaire qui lui est associée, qui a évolué sur des bases préhistoriques, qui ne peuvent plus valoir quand on a pris conscience d’un monde « fini ».
 
En conclusion donc il est absolument urgent et vital de repenser le processus par lequel on pense la « transition verte » : on se base sur le postulat non démontré (et franchement de moins en moins crédible) de la croissance verte, en pensant les évolutions à partir de cette base. Nous devrions « renverser la charge de la preuve » à ceux qui nous disent cela (il y a de grandes chances qu’ils en soient incapables puisqu’il s’agit d’une idéologie, d’un intégrisme qui se fonde sur une croyance). 
 
A l’inverse, il est très facilement démontrable que la raréfaction progressive mais inéluctable de l’énergie facile et pas chère va provoquer une baisse de la croissance et du PIB. Organisons donc cette descente à l’aide des technologies disponibles maintenant (ou rapidement, c’est à dire dans la décennie) au lieu d’imaginer pouvoir compter sur la croissance à coup de peut-être (r)évolutions technologiques: qu’elles soient disponibles et efficace d’ici quelques décennies sera juste trop tard car infaisables... 
 
Bonne chance à tout le monde 🥳.
 

 

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