[LIVRE] Introduction à la dynamique des systèmes. L'Harmattan, 2017.

 « 𝐈𝐧𝐭𝐫𝐨𝐝𝐮𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐚 𝐥𝐚 𝐝𝐲𝐧𝐚𝐦𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐬𝐲𝐬𝐭𝐞̀𝐦𝐞𝐬 ». Patrice Salini, Editions L'Harmattan, 2017, 216 pages (avec des dessins et des graphes).

Lisibilité:
Accessibilité:
Qualité des infographies/photos:
 
Note Générale:



Une (r)évolution épistémologique des modèles ?
 
Tout le monde, ou presque, connaît le Rapport Meadows: "𝐓𝐡𝐞 𝐋𝐢𝐦𝐢𝐭𝐬 𝐭𝐨 𝐆𝐫𝐨𝐰𝐭𝐡", "Halte la croissance", puis finalement "les limites à la croissance dans un monde fini". Il est utilisé, invoqué, cité abondamment depuis quelques années, afin de légitimer (a juste titre je pense) l’argument qu’on ne peut croître de manière infinie dans un monde fini. 
 
Il a été construit grâce à la dynamique des systèmes, une discipline récente (attribuée à Jay Forrester dans le tournant des années 50-60) que ce rapport a précisément rendu très impopulaire (voire même disqualifié !) auprès de toute une série d’acteurs, politiques, scientifiques, économiques, économétriques, statisticiens, du moins en francophonie, jusqu’à ce jour, à tel point qu’il s’agit ici du seul et unique ouvrage que j’ai pu trouver en français... 
 
Quoi ? Un rapport sur lequel reposent des arguments fondamentaux d’une fin de la croissance et qui a été fabriqué sur base d’une théorie controversée et vilipendée, mais qui prouve avec le temps qu’elle permet de coller à la réalité bien mieux que des modèles mathématiques reconnus (les modèles économiques classiques, l’économétrie et la statistique en prennent pour leur grade !) ? Il me fallait absolument fouiller un tantinet. Et j’ai bien fait, c’est bigrement intéressant ! Et très accessible, avec de nombreux exemples très simples (on y trouve des lapins, des renards, des trains, des avions...), et même un petit manuel (léger) pour utiliser un outil (Stella) pour démarrer ses propres modèles, ainsi que quelques clés de bases pour bien penser un modèle. On regrettera de nombreuses coquilles et oublis de relecture ainsi que des graphes parfois illisibles car pixelisés, mais l’essentiel est là. 
 
Certes on ne sera pas capable de se lancer tout de suite dans une modélisation (en tout cas, pas moi) après cette lecture, mais on aura pu se faire une idée assez précise de ce qu’est la dynamique des systèmes, comment elle est élaborée, et quelles sont les étapes à la fabrication d’un modèle pertinent. 
 
Ce qui m’a décidé, c’est la conférence d’Arthur Keller à Centrale Supélec (si vous l’avez pas vue, courez-y: https://www.youtube.com/watch?v=FoCN8vFPMz4) où la pensée « système » est privilégiée pour aborder les défis actuels. L’approche systémique dynamique présente en effet une foule de capacités invisibles aux modèles classiques, notamment la notion d’apparition de crises ou bouleversements mais aussi - et peut-être surtout - la possibilité (la nécessité même) de sortir de la pensée en silo, qui risque très souvent d’apporter des réponses qui soient pires que les problèmes.
 
𝐀𝐥𝐨𝐫𝐬, 𝐪𝐮’𝐞𝐬𝐭-𝐜𝐞 𝐪𝐮𝐞 𝐜’𝐞𝐬𝐭, 𝐩𝐨𝐮𝐫𝐪𝐮𝐨𝐢 𝐜̧𝐚 𝐝𝐞́𝐫𝐚𝐧𝐠𝐞 𝐭𝐚𝐧𝐭 𝐝𝐞 𝐠𝐞𝐧𝐬 𝐞𝐭 𝐩𝐨𝐮𝐫𝐪𝐮𝐨𝐢 𝐞𝐬𝐭-𝐜𝐞 𝐮𝐧 𝐨𝐮𝐭𝐢𝐥 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐢𝐜𝐮𝐥𝐢𝐞̀𝐫𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐩𝐮𝐢𝐬𝐬𝐚𝐧𝐭 ? 𝐀𝐧𝐚𝐥𝐲𝐬𝐞. 
 
Salini donne la définition en deux parties, citant Forrester. P.8: "c’est une approche qui consiste à simuler le fonctionnement dynamique, dans le temps, d’un système dont la caractéristique première est d’être complexe et doté d’un ensemble considérable de liens entre ses propres éléments et de mettre en œuvre ses propres rétroactions", et P.104: "elle combine la théorie, les méthodes et la philosophie pour analyser le comportement des systèmes [...], elle montre comment les choses changent dans le temps".
On a donc plusieurs éléments ici qui expliquent pourquoi les disciplines scientifiques ont bien du mal à admettre la validité de la discipline: 
 
𝑨. 𝑪𝒐𝒎𝒑𝒓𝒆𝒏𝒅𝒓𝒆 (𝒔𝒊𝒎𝒖𝒍𝒆𝒓) 𝒆𝒕 𝒏𝒐𝒏 𝒑𝒓𝒆́𝒗𝒐𝒊𝒓. 
 
Il s’agit d’un outil de connaissance, de compréhension et non de prévision ! Or les décideurs, comme les gens en général, veulent un résultat, une prévision, et non « comprendre comment ça fonctionne ». Un décideur qui veut investir dans une politique attend d’un expert qu’il lui réponde « ça aura ceci comme effet », et non « ça dépend ». Personne n’aime qu’on réponde « ça dépend » (d’où aussi la grave perte de nuance dans les débats ! Mais c’est un autre sujet). Pourtant, comme le dit Salini, il vaut mieux savoir que « ça dépend » et surtout « de quoi! ». Mais pour cela il faut faire tourner de multiples scénarios et hypothèses... le rôle de l’expert (du savant, du scientifique, du consultant), de nos jours, est de réduire l’incertitude de non de proposer de comprendre comment fonctionnent les choses, en rajoutant de l'incertitude... c’est pourtant spécifiquement la mission de la dynamique des systèmes.
En ce sens le rapport Meadows a été - et est encore - très mal compris: il n’a jamais été question de « prévisions » (comme on le lit encore régulièrement dans la presse, même spécialisée) mais bien de simulations ! « What if... » est le seul but du modèle: que se passe-t-il si j’augmente les ressources de base ? Que se passe-t-il si je réduis la natalité ? Que se passe-t-il si je ne change rien (un scénario retenu d’ailleurs pour le rapport Meadows, qui correspond presque parfaitement à la réalité depuis). Cela a largement contribué à son impopularité: les simulations contredisaient les croyances, les résultats de certains scénarios étaient contre-intuitifs, et donc on a préféré jeter le bébé avec l’eau du bain: tant les conclusions que la méthode ont été contestées, voire parfois bannie de certains cercles de réflexion. 
 
𝑩. 𝑴𝒆́𝒍𝒂𝒏𝒈𝒆𝒓 𝒍𝒆𝒔 𝒅𝒊𝒔𝒄𝒊𝒑𝒍𝒊𝒏𝒆𝒔 𝒆𝒕 𝒔𝒐𝒓𝒕𝒊𝒓 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒑𝒆𝒏𝒔𝒆́𝒆 𝒆𝒏 𝒔𝒊𝒍𝒐 (𝒑𝒂𝒔 𝒃𝒊𝒆𝒏 !)
 
C’est une critique épistémologique des sciences que l’auteur propose en filigrane. La dynamique des systèmes n’entre dans aucun cadre. De tout temps, l’innovation de la pensée scientifique
a toujours été inaudible, jusqu’à ce qu’assez de gens s’y intéressent pour qu’elle entre dans le champ académique - et rentre de fait dans un "courant". Les exemples ne manquent pas et mon préféré reste Georgescu-Roegen, moqué et dénigré pendant des décennies sur ses théories de la décroissance (basées sur l’entropie de la thermodynamique), mais largement réutilisées maintenant. Bref.. la dynamique des systèmes n’entre dans aucun courant théorique. Elle les mêle, les entrechoque, les confronte: au lieu d’essayer de faire rentrer les faits au chausse-pied dans un cadre théorique, elle ouvre les cadres pour voir comment la réalité y prend place. C’est presque une révolution copernicienne ! Explications:
La plupart des théories qu’on connaît sont en fait une quintessence d’un raisonnement complexe et nuancé, donc on retire une (ou deux) idées maîtresses: globalement on réalise une espèce de hiérarchie des causalités du raisonnement en en gardant « la » causalité maîtresse, une idée forte, quitte à dénaturer le fond du propos (exemple: la main invisible d’Adam Smith, qu’il ne cite en fait que deux fois dans son œuvre et qui n’est pas du tout le fil conducteur de sa pensée).
C’est là que la dynamique des systèmes est intéressante et va a contre-courant. En dynamique de systèmes, on ne cherche pas à valider une intuition, mais à construire un outil de réflexion reposant sur une représentation raisonnée de la complexité d’un système. On s’interroge donc sur la réalité en faisant sauter les barrières disciplinaires.
 
C’est salutaire !!! En restant obnubilé par une théorie ou même une discipline, on n’identifie pas les causes exogènes, au contraire on fait tout rentrer dans le cadre théorique: comme le dit très bien Keller, quand notre seul outil est un marteau, tout problème finit par ressembler à un clou. Et dès lors les réponses sont mauvaises. Au mieux inefficaces, au pire contre productives (parfois, par chance, adaptées mais ça reste rare). Un exemple donné dans le bouquin est très parlant, même s’il reste un exercice de pensée: il parle d'une campagne de vaccination dans un pays en développement (désolé pour le sujet, aucun rapport avec ce qu’on vit actuellement hein). Une campagne de vaccination pourrait très bien augmenter la mortalité. Non pas parce que le vaccin serait létal, mais bien parce que la sous mortalité ainsi engendrée ajouterait une grosse pression sur les ressources alimentaires, qui deviendraient elles-mêmes source de mortalité par augmentation soudaine de la population. On voit bien dans cet exemple que sans modèle (correctement pensé) qui fasse fi des barrières disciplinaires, on ne peut prévoir les boucles de rétroactions qui ont pourtant un effet potentiellement énorme !
 
𝑪. 𝑻𝒆𝒏𝒊𝒓 𝒄𝒐𝒎𝒑𝒕𝒆 𝒅𝒆 𝒍’𝒆𝒙𝒑𝒆́𝒓𝒊𝒆𝒏𝒄𝒆 𝒄𝒐𝒏𝒄𝒓𝒆̀𝒕𝒆 𝒏𝒐𝒏 𝒒𝒖𝒂𝒏𝒕𝒊𝒕𝒂𝒕𝒊𝒗𝒆. 
 
Tous les modèles économétriques ou statistiques excluent de facto ce qui n’est pas mesurable. Or énormément d’aspect de nos vies, de nos schémas mentaux qui entraînent nos décisions, de nos expériences quotidiennes, sont impossibles à quantifier. Pourtant elles sont bien réelles. L’auteur prend comme exemple la « qualité »: on sait que plus un objet est de qualité, plus il sera prisé (en fonction aussi de son surcoût). Mais elle est très difficile à mesurer, la qualité. Tout au plus peut-on la mesurer par rapport à un autre produit, mais la « qualité » en tant que telle est non mesurable, non réductible à une unité de mesure. Or, cette réalité qualitative n’est-elle pas au moins aussi importante que des données que l’on peut quantifier ? Il résume cela par (p.152): « omettre des structures ou des variables connues pour être importantes parce que les données numériques ne sont pas disponibles est en fait moins scientifique et moins précis que d’utiliser votre bon sens pour estimer leurs valeurs ».
Et c’est là une des forces de la dynamique des systèmes: elle permet d’inclure dans un modèle mathématique - après moults calibrages en essai/erreur - des données complètement ignorées par l’économétrie classique, qui, ceci dit en passant, à montré de nombreuses fois son incapacité à rendre compte du réel. Dès lors, à la fin, on n'obtient forcément pas de données chiffrées, mais des ordres de grandeurs relatifs et des tendances.
 
𝑫. 𝑭𝒐𝒓𝒎𝒖𝒍𝒆𝒓 𝒖𝒏 𝒓𝒆́𝒄𝒊𝒕 𝒗𝒆𝒓𝒃𝒂𝒍. 
 
La première chose à faire avant d’écrire les centaines (voire les milliers) d’équations mathématiques dans un modèle, c’est de formuler verbalement un récit, une histoire. Raconter comment se passent les choses, de quoi elles dépendent : une attention particulière ici sera donnée à faire la différence entre causalité et corrélation ! Les deux se ressemblent mais n’ont rien à voir. Étienne Klein donne souvent l’exemple de la pluie et des grenouilles: quand il pleut, il y a des grenouille. Une relation de causalité stricte impliquerait la conclusion qu’il pleut des grenouilles. Or c’est une corrélation qui naît d’une suite de causalités en cascade: il ne pleut pas des grenouilles !
Certes il est très important - capital même - de documenter les causalités proposées, et pour cela on revient au croisement des disciplines, la sortie du silo ! On entre dans le modèle des causes exogènes à une discipline, sans essayer coûte que coûte de faire entrer par magie un phénomène dans la théorie.
Notez qu’on atteint ici une des limites de la dynamique des systèmes: on reste, si on n’y prend garde, enfermé dans un « récit » de comment fonctionnent les choses. Les causalités ne sont pas forcément inventées, elles résultent d’un système de pensées (et dieu sait si les systèmes de pensée ont changé avec le temps) et les paramètres retenus pour entrer dans le modèle sont toujours la conséquence d’un choix arbitraire: impossible, pour un esprit humain ou pour un calculateur aussi puissant soit-il, d’intégrer une infinité de paramètres. On est donc toujours bien en présence d’un modèle, d’une représentation, d’une simplification du monde réel, mais dont on s’astreint à s’attacher aux relations de causalité principales, quitte à simplifier ensuite, ou complexifier. On y reviendra !
 
𝑬. 𝑼𝒏𝒆 𝒏𝒐𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒅𝒖 𝒕𝒆𝒎𝒑𝒔 𝒏𝒐𝒏 𝒄𝒚𝒄𝒍𝒊𝒒𝒖𝒆. 
 
L’économétrie classique ainsi que la statistiques se basent sur le passé pour prévoir l’avenir: ces disciplines partent presque toujours du principe que ce qui est arrivé dans le passé reste valable dans l’avenir, que les mêmes effets auront toujours les mêmes conséquences. Si c’est pratique pour donner une réponse univoque aux décideurs (particulièrement vrai dans le domaine des assureurs: ils calculent primes et réserves sur base de la probabilité que quelque chose survienne, cette probabilité étant calculée sur les occurrences du passé), ça ne permet pas de voir venir des points de rupture, des cassures, des effondrements, puisqu’aucune variable exogène au système ou au cadre de pensée n’est prévue. C’est comme si le modèle économétrique était fermé. Dès lors, toute rupture est vécue dans ces modèles comme une catastrophe, qui nécessite de repenser l’intégralité du modèle en question, c’est la débandade. En résumé, les ruptures relèvent du domaine de l’impensé pour ces disciplines. 
 
𝐋𝐚 𝐝𝐲𝐧𝐚𝐦𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐬𝐲𝐬𝐭𝐞̀𝐦𝐞𝐬, 𝐞𝐥𝐥𝐞, 𝐧𝐞 𝐩𝐫𝐞́𝐬𝐮𝐦𝐞 𝐩𝐚𝐬 𝐝𝐮 𝐩𝐚𝐬𝐬𝐞́ 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐬𝐢𝐦𝐮𝐥𝐞𝐫 𝐥𝐞 𝐟𝐮𝐭𝐮𝐫. Certes les causalités explicitées dans les équations se réfèrent à une expérience empirique, mais grâce à la possibilité d’intégrer des boucles de rétroactions, parfois interdisciplinaires, elle n’empêche en rien l’apparition de fractures dans l’évolution d’un modèle, bien au contraire. Elle permet de tester un modèle avec des variables extrêmes et de regarder ce qui, en tendance, pourrait se produire (what if...).
Bien sûr les modèles classiques acceptent un peu de changement ou un peu de contraintes, mais ils restent incapables d’anticiper une mutation, un changement d’état du système: ils ne sont tout simplement ni prévus, ni pensés pour cela.
Il semble donc plutôt évident que les défenseurs de l’économétrie classique n’ont pas accepté la dynamique des systèmes comme une méthode valable: elle sort de leur cadre de pensée et donc est nulle et non avenue... 
 
——
 
On le voit, la dynamique des systèmes est capable de répondre beaucoup mieux à la question « que se passe-t-il globalement si j’interviens ici », de par sa prise en compte des boucles de rétroactions et son ouverture à la rupture, qu’un modèle classique. Cela ne plait pas à l’orthodoxie économétrique et statistique car la vision globale est très différente: là où elles voient des corrélations historiques, la dynamique des systèmes voit des chaînes de causalité plus précises et est capable d’avertir qu’un phénomène risque l’emballement (ou l’atrophie), impliquant toute une série d’effets sur le système qui sont à priori non devinables, contre-intuitifs, mais qui peuvent être salvateurs quand ils sont pris en compte dans une décision. 
 
𝙇𝙖̀ 𝙤𝙪̀ 𝙡𝙚𝙨 𝙢𝙤𝙙𝙚̀𝙡𝙚𝙨 𝙘𝙡𝙖𝙨𝙨𝙞𝙦𝙪𝙚𝙨 𝙨𝙤𝙣𝙩 𝙤𝙧𝙜𝙖𝙣𝙞𝙨𝙚́𝙨 𝙥𝙤𝙪𝙧 𝙫𝙖𝙡𝙞𝙙𝙚𝙧 𝙪𝙣𝙚 𝙝𝙮𝙥𝙤𝙩𝙝𝙚̀𝙨𝙚, 𝙪𝙣𝙚 𝙩𝙝𝙚́𝙤𝙧𝙞𝙚, 𝙡𝙖 𝙙𝙮𝙣𝙖𝙢𝙞𝙦𝙪𝙚 𝙙𝙚𝙨 𝙨𝙮𝙨𝙩𝙚̀𝙢𝙚𝙨 𝙣’𝙖 𝙥𝙖𝙨 𝙙’𝙖 𝙥𝙧𝙞𝙤𝙧𝙞 𝙖̀ 𝙫𝙚́𝙧𝙞𝙛𝙞𝙚𝙧, 𝙥𝙖𝙨 𝙙’𝙝𝙮𝙥𝙤𝙩𝙝𝙚̀𝙨𝙚 𝙖̀ 𝙫𝙖𝙡𝙞𝙙𝙚𝙧: 𝙚𝙡𝙡𝙚 𝙨𝙚 𝙘𝙤𝙣𝙩𝙚𝙣𝙩𝙚 𝙙𝙚 𝙨𝙞𝙢𝙪𝙡𝙚𝙧 𝙘𝙚 𝙦𝙪𝙞 𝙨𝙚 𝙥𝙖𝙨𝙨𝙚 𝙙𝙖𝙣𝙨 𝙡𝙚 𝙩𝙚𝙢𝙥𝙨 𝙥𝙤𝙪𝙧 𝙖𝙥𝙥𝙧𝙚𝙣𝙙𝙧𝙚 𝙚𝙩 𝙘𝙤𝙢𝙥𝙧𝙚𝙣𝙙𝙧𝙚, 𝙣𝙤𝙣 𝙥𝙤𝙪𝙧 𝙥𝙧𝙚́𝙫𝙤𝙞𝙧. 
 
𝗠𝗼𝗱𝗲́𝗹𝗶𝘀𝗲𝗿, 𝗰’𝗲𝘀𝘁 𝗿𝗮𝗰𝗼𝗻𝘁𝗲𝗿, 𝗰𝗼𝗻𝗳𝗿𝗼𝗻𝘁𝗲𝗿 𝗲𝘁 𝘁𝗲𝘀𝘁𝗲𝗿 !
 
Salini résume la démarche de création d’un modèle en dynamiques des systèmes en 4 grandes étapes:
 
- 𝐕𝐞𝐫𝐛𝐚𝐥𝐢𝐬𝐞𝐫, 𝐫𝐚𝐜𝐨𝐧𝐭𝐞𝐫 𝐮𝐧𝐞 𝐡𝐢𝐬𝐭𝐨𝐢𝐫𝐞 aussi complète que possible en se basant sur des causalités. Cela force à la clarification des idées, confronter ce qu’on a clarifié avec des gens dont les domaines en question sont les spécialités. Documenter un maximum les causalités à l’aide de tout ce qui est disponible: chiffres, statistiques, psychologie, sociologie, bon sens, expérience de terrain, ...
 
- Dans une démarche fondamentalement analytique, 𝐭𝐫𝐚𝐝𝐮𝐢𝐫𝐞 𝐜𝐞𝐭𝐭𝐞 𝐡𝐢𝐬𝐭𝐨𝐢𝐫𝐞 𝐞𝐧 𝐞́𝐪𝐮𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬, à l’aide de quelques symboles et d’élément (flux, stocks, intervalles de temps, liens de causalité, opérateurs logiques, ...) et les « caler », c’est à dire 𝐢𝐧𝐢𝐭𝐢𝐚𝐥𝐢𝐬𝐞𝐫 𝐥𝐞 𝐦𝐨𝐝𝐞̀𝐥𝐞 avec une série de valeurs de départ, qu’on ajuste par essai et erreurs jusqu’à ce que le modèle semble cohérent. C’est donc une étape relativement empirique (et longue), puisque généralement bon nombre de variables sont inquantifiables, non mesurables d'avance.
 
- 𝐓𝐞𝐬𝐭𝐞𝐫 𝐥𝐞 𝐦𝐨𝐝𝐞̀𝐥𝐞 encore et encore, lui attribuer des valeurs extrêmes pour tester sa robustesse. Par exemple pour une modélisation des transports, on peut mettre les stocks et flux de carburant a zéro. Si le modèle fonctionne c’est qu’on a raté des causalités, il faut reprendre l’ouvrage. 𝐄𝐧𝐭𝐫𝐞𝐫 𝐞𝐧𝐬𝐮𝐢𝐭𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐭𝐚𝐛𝐥𝐞𝐬 𝐝𝐞 𝐯𝐚𝐥𝐞𝐮𝐫𝐬 pour les variables du modèle, qui vont corresponde à 𝐝𝐢𝐟𝐟𝐞́𝐫𝐞𝐧𝐭𝐬 𝐬𝐜𝐞́𝐧𝐚𝐫𝐢𝐨𝐬, faire tourner le modèle et voir ce qu’il se passe pour chacun, en dégager les tendances, les similitudes, les différences.
 
- 𝐑𝐚𝐜𝐨𝐧𝐭𝐞𝐫, enfin, une histoire qui résume les résultats, de manière simplifiée. C’est un 𝐫𝐞́𝐞𝐥 𝐞𝐱𝐞𝐫𝐜𝐢𝐜𝐞 𝐝𝐞 𝐒𝐭𝐨𝐫𝐲𝐭𝐞𝐥𝐥𝐢𝐧𝐠 ici, qui doit décrire les grandes tendances de l’évolution des scénarios en fonction d’hypothèses de départ, en dégager des élémentslements récurrents. En gros il s’agit de restituer sous une forme simplifiée, en quelques lignes, les interaction de centaines de paramètres différents. C’est ce que les conclusions générales du rapport Meadows ont fait: résumer en quelques courbes sur un graphe les tendances générales résultant de très nombreuses interactions complexes - et difficilement explicitable au grand public. C’est sans doute à cause de cette étape de que le rapport Meadows a contribué à disqualifier la dynamique des systèmes: les conclusions étaient trop énormes et contre intuitives par rapport à la simplicité apparente du graphe présenté que pour que la communauté scientifique ne daigne s’intéresser aux processus qui ont mené à ces conclusions. 
 
D’où rejet de la méthode ET des conclusions du rapport dans une large part des communautés scientifiques et politiques.
 
Or, on sait à présent que le rapport Meadows alertait sur toute une série de tendances qui s’avèrent en fait coller presque parfaitement à la réalité, et que les ruptures simulées par le modèle World3 pour l’avenir proche sont potentiellement possibles, pour ne pas dire probables. 
 
Avec le recul donc, on s’aperçoit que sur base d’incompréhension d’une méthode qui n’entrait pas dans les cadres de pensée de l’époque, on a raté un réel débat de fond, tant sur les conclusions du rapport que sur la méthode de la dynamique des systèmes. Avec les perspectives qu’on connaît maintenant... est-ce que ça aurait changé quelque chose si le débat avait eu lieu ? C’est une autre question...
 

 

Commentaires